Comprendre l'Islam

COMPRENDRE L'ISLAM
   

Présentation de l'Islam

Auteur : Dr. Tariq RAMADAN

 
 

L’Islam, religion de l’Unicité, proclame que Dieu est Un, que le Coran est Sa parole et que le prophète Muhammad est Son messager. Dieu est le Créateur, Il a créé l’homme, parmi les autres créatures et lui a confié une mission sur terre, d’être Son gérant. Tout en lui donnant un sens et une finalité à sa vie, elle indique au musulman comment vivre sur terre parmi les autres créatures.

l’homme est responsable devant Dieu de ses actes et comportements, il devra mener sa vie dans le respect des autres créatures, dans la reconnaissance de leur diversité et en préservant l’harmonie entre elles. La différence des peuples et des nations, les spécificités de cultures, le particularisme des coutumes a été voulu par Dieu.

La spiritualité islamique engage l'homme à vivre dans l'harmonie en tenant compte de tous les éléments de son humanité. Vivre sans oublier la mort, méditer sans négliger l'action de bien et de justice, se savoir seul et vivre parmi les hommes, nourrir son esprit comme on nourrit son corps et rester exigeant dans la recherche de l'équilibre.

Le djihâd intérieur est nécessaire pour se maîtriser, apprendre à vivre avec autrui et préserver l’harmonie de la planète. Pour ce faire, des principes directeurs furent soulignés dans le Coran et expliqués dans la Sunna du prophète, concernant toutes les sphères de l’activité humaine.

Les orientations politiques et la dimension sociale en Islam, tiennent compte à la fois de l’individu, de la famille et de la société, dans sa diversité. La vie politique en Islam affirme la nécessité de la consultation (shûra) pour gérer le pluralisme, en tenant compte des autres sphères de la vie humaine, en affirmant les droits individuels aussi bien que collectifs.

La vie économique en Islam ne peut être conçue sans la référence à la morale musulmane et aux principes de la justice sociale. L'homme ou la femme en Islam sont responsables devant Dieu de la manière dont ils gèrent ce qui leurs fut remis en dépôt.

Le Coran et la Sunna offrent des orientations qui présentent le champ des possibles de l'action humaine et précisent un certain nombre de limites. Ainsi, nous trouvons élaborée, au travers de ces sources, une conception musulmane du monde qui est, en somme, la manière dont les musulmans expriment leurs rapports avec Dieu, la nature, les autres communautés, et, dans le prolongement, dont ils les traduisent dans les sciences, les techniques, les arts et l'ensemble de l'organisation sociale, politique et économique. Plus qu'une religion, c'est ici une culture et, en l'occurrence, une culture fondée sur un système de valeurs et nourrie par la morale. De ce fait, elle est en opposition fondamentale avec les logiques scientiste, technicienne et économiste. Les fondements de la civilisation islamique, autour de la référence à l'unicité de Dieu (tawhîd), donnent la priorité absolue au sens de la vie et à la finalité des actions humaines. Ils nourrissent aujourd'hui la spiritualité, le cœur et les consciences de millions de musulmans.

Les références du musulman sont donc le Coran et la Sunna du prophète Muhammad. Pour lui, le Coran représente une parole d’absolu. Il traite de toutes les sphères de l’activité humaine en en indiquant les principes directeurs. Ces principes sont la référence des juristes qui ont la responsabilité, en tout lieu et à toute époque, d'apporter des réponses en prise avec leur environnement sans trahir l'orientation première. On distingue donc entre sharî‘a (droit islamique), ou l’ensemble des règles générales stipulées par le Coran et la Sunna, et le fiqh (jurisprudence) qui est le travail d’adaptation que les juristes opèrent par le biais de l’ijtihâd ou activité de réflexion et de raisonnement. Les juristes doivent répondre aux questions de leur temps en tenant compte des réalités sociales, économiques, politiques de leur lieu de vie.

Dans le miroir de la nature et de son ordre, et dont tous les éléments appartiennent à Dieu et retourneront à Lui, la meilleure des communautés est celle qui respecte l'harmonie par son engagement pour le bien et sa lutte contre le mal.

 

SOMMAIRE

Introduction

Références de l'Islam

Le Coran et la sunna

Dieu, la création et les hommes

Le Créateur et la gérance

La permission originelle

Les droits de Dieu, la responsabilité des hommes

Horizons de l'Islam

Les principes sociaux

L'individu

La famille

L'organisation sociale

Qu'est-ce que la sharî'a ?

La situation de la femme

L'appel au djihâd

Les orientations politiques

Le religieux et le politique

Shûra ou démocratie ?

Les directives économiques

La référence morale

Principes généraux de l'économie en Islam

Valeurs et finalités:

Le chemin de la source

Dieu

La spiritualité

La morale

Le sens et la finalité.

Vers une guerre des civilisations ?

Attraction-répulsion

Les discours et les faits

Le regard occidental sur l'islam est forgé par une longue histoire

La religion des arabes

Croisade et colonisation

Altérité absolue

Religion et civilisation

Le profane et le sacré

Théocratie laïque ?

Foi et engagement

La question de la femme au miroir de la Révélation

Lire le coran ?

La femme et la révélation

Les femmes de médine

L'espace familial

Le coran vivant

 

REFERENCES DE L’ISLAM

Le Coran et la sunna

Le Coran est pour les musulmans la parole de Dieu révélée par fragments au Prophète Muhammad par l'intermédiaire de l'ange Gabriel pendant les vingt-trois années de sa mission. En ce sens donc, le Coran représente pour eux une parole d'absolu qui donne et prend sens au-delà des événements et des contingences de l'histoire : et ce parce qu'elle est, pour les fidèles de l'islam, le dernier message révélé aux hommes par Dieu qui, auparavant, avait envoyé d'innombrables prophètes et messagers dont Noé, Abraham, Moïse et Jésus.

Le texte coranique est, avant toute chose, un rappel aux hommes pour qu'ils reviennent à la foi originelle en Dieu et qu'ils aient de fait le comportement moral qui convient. Plus d'un tiers du Coran est constitué par l'expression du "tawhîd" : la foi en l'unicité du Créateur qui n'engendre pas et n'a pas été engendré. On trouve également évoquées les histoires des Prophètes dont la narration traduit le fait de l'essence unique des messages et de leur continuité. Tous ces passages sont propres à donner naissance à la spiritualité qui doit accompagner le croyant : leur dimension absolue est en soi logique, et légitime.

De nombreux versets du Coran parlent de la création, de l'univers et d'autres insistent sur les modes de relations que les hommes doivent entretenir entre eux ou avec la nature. La Révélation traite en effet de toutes les sphères de l'activité humaine : de l'ordre économique, du projet social, de la représentativité politique. C'est cette spécificité qui, à première vue, fait problème, car si la parole de Dieu est absolue, une et définitive, cela revient à dire que ce qui a été écrit et recensé au VIIème siècle comme "parole de Dieu" est à appliquer tel quel à toutes les époques ultérieures. L'islam serait donc, par essence, fondamentaliste au sens où l'on comprend cette notion dans l'histoire du christianisme.

Pourtant, ni le Prophète, ni ses compagnons, ni les premiers juristes ne l'ont entendu ainsi. Le Coran est descendu par fragments et les versets révélés étaient le plus souvent des réponses à des situations spécifiques auxquelles devait faire face la communauté des fidèles autour du Prophète. C'est une réponse relative à l'événement historiquement daté : l'absolu révélé n'est pas dans la littéralité de la formulation, mais dans le principe général qui se dégage de ladite réponse. C'est ce qu'ont traduit les premiers juristes, après Abou Hanîfa et al-Shâfi'i, avec la notion de "maqâsed al sharî'a" : les objectifs, les principes d'orientation de la législation islamique.

Il s'agit là de la conceptualisation, après coup, de ce que Muhammad et ses compagnons comprenaient et appliquaient naturellement. Quand 'Omar, alors qu'il avait succédé à Abou Bakr à la tête de la communauté musulmane, décida, durant l'année dite de la famine, de suspendre l'application de la peine de la main coupée aux voleurs, il suivait très exactement le principe énoncé ci-dessus : maintenir l'application de cette peine aurait signifié une trahison de l'objectif de la Révélation qui seule est absolue (même si cela pouvait apparaître comme un manquement à la lettre du Coran)

Il se trouve dans le Coran à peu près 228 versets (sur 6 238) qui traitent de la législation générale (droit constitutionnel, code civil et pénal, relations internationales, ordre économique, etc.). Il est impossible, avec ce qui ne représente que 3% du Coran, de répondre aux besoins d'une quelconque société - cette insuffisance était apparue du temps même du Prophète - et les juristes ont très vite cherché à dégager les principes généraux, et absolus, qui se cachaient derrière les réponses spécifiques données aux habitants de la péninsule arabique au VIIème siècle.

Le Coran offre donc des principes directeurs, des principes d'orientation. Ces derniers sont, par essence, absolus puisque, pour le musulman, ils proviennent du Créateur qui indique à l'homme la voie (la sharî'a) à suivre pour respecter Ses injonctions. Ces principes sont la référence des juristes qui ont la responsabilité, en tout lieu et à toute époque, d'apporter des réponses en prise avec leur environnement sans trahir l'orientation première. Ainsi, il ne s'agit pas de refuser l'évolution des sociétés, le changement des modes et des mentalités, ou les diversités culturelles : bien au contraire, le musulman est mis en demeure de respecter l'ordre divin (qui a voulu le temps, l'histoire et la diversité) :

"Dieu fait sortir le vivant du mort ; Il fait sortir le mort du vivant. Il rend la vie à la terre quand elle est morte : ainsi vous fera-t-Il surgir de nouveau.

Parmi Ses signes : Il vous a créés de poussière, puis vous voici des hommes dispersés sur la terre.

Parmi Ses signes : Il a créé pour vous, tirées de vous, des épouses afin que vous reposiez auprès d'elles, et Il a établi l'amour et la bonté entre vous. Il y a vraiment là des signes pour un peuple qui réfléchit.

Parmi Ses signes : la création des cieux et de la terre ; la diversité de vos langues et de vos couleurs. Il y a là vraiment des signes pour ceux qui savent."

Coran 30/19-22

Les étapes de la création - des cieux, de la terre et des êtres humains - et la diversité des idiomes et des couleurs sont autant de signes tant de la Présence que de la volonté divines qu'il faut donc respecter. L'interpellation à l'ensemble des êtres humains va dans le même sens :

"ô vous les gens ! Nous vous avons créés d'un homme et d'une femme et Nous avons fait de vous des peuples et des tribus pour que vous vous entreconnaissiez..."

Coran 49/13

Ainsi l'homme, porteur de la foi, doit admettre, à l'instant même où il s'occupe des affaires humaines, les données de l'évolution historique, de la diversité cultuelle et culturelle. Faire face à ses responsabilités de croyant, c'est appréhender l'horizon de cette complexité et, d'emblée, s'activer à chercher, pour son époque et son pays, la meilleure façon d'établir une harmonie entre les principes absolus et la vie quotidienne.

La Sunna du Prophète, seconde source du droit islamique, permet de s'approcher des objectifs de la Révélation. En effet, en analysant ce que Muhammad a pu dire en telle ou telle circonstance, ou comment il a agi, ou encore ce qu'il a approuvé, nous sommes à même de mieux comprendre le sens et la portée des injonctions divines. De la même façon, les juristes se sont efforcés de dégager à partir des dires, des faits et des décisions de Muhammad, les principes qui devaient permettre aux musulmans de vivre avec leur temps ou leur environnement tout en restant fidèles à son enseignement.

A première vue, la référence constante au Coran et au Prophète peut apparaître comme un obstacle au changement, comme sa négation manifestée par la volonté de voir appliquée aujourd'hui une législation vieille de quatorze siècles. Ce que nous venons de dire est la démonstration que cette compréhension est bien réductrice et qu'elle ne correspond ni à l'enseignement de Muhammad ni à l'attitude des ulémas (savants) de la première époque. La détermination des principes généraux est un fait avéré dans les modalités de lectures juridiques du Coran et des traditions et que confirment, s'il en était besoin, l'exigence de "l'effort de réflexion personnelle" (ijtihâd) dans des situations dont ne parlent ni le Coran ni la Sunna.

L'ijtihâd : entre l'absolu des sources et la relativité de l'histoire

Quand il devait prononcer un jugement, le premier calife Abou Bakr revenait d'abord au Coran en cherchant s'il s'y trouvait un texte applicable. S'il n'en trouvait pas, il prenait en considération la vie du Prophète - selon son souvenir ou celui de ses compagnons - pour y découvrir une situation semblable pour laquelle le Prophète aurait prononcé un jugement spécifique. Si, au terme de ces recherches, les deux sources restaient muettes sur le cas en question, il réunissait pour consultation les représentants du peuple et prenait avec eux une décision neuve, et rationnellement autonome, mais respectueuse de l'esprit des deux sources.

Cette démarche par étapes avait reçu l'approbation de Muhammad lui-même quand il envoya Mu'âdh ibn Jabal au Yémen pour qu'il y exerçat la fonction de juge. La veille de son départ, le Prophète l'interpella : "Selon quoi jugeras-tu ? - Selon le livre de Dieu, répondit Mu'âdh ; - Et si tu n'y trouves rien ? - Selon la tradition (Sunna) du Prophète de Dieu ; - Et si tu ne trouves rien ? - Alors je mettrai toute mon énergie à formuler mon propre jugement. Sur quoi le Prophète conclut : "Louange à Dieu qui a guidé le messager du Prophète vers ce qui est agréable au Prophète."

De fait, en matière législative, les choses sont claires. Le droit islamique, dont on parle tant aujourd'hui, c'est d'abord l'ensemble des règles générales stipulées par le Coran et la Sunna. Très vite, nous l'avons vu, elles ne purent suffire à répondre aux questions de la vie quotidienne des musulmans. Il fallait donc que ceux-ci développent une méthode et établissent les principes de la recherche en matière de droit : qu'à l'exemple de Mu'âdh, ils mettent "toute leur énergie à formuler leur propre jugement". Cette activité de réflexion est connue dans le droit islamique sous le nom de ijtihâd, nom arabe dont le sens est littéralement "mettre toute son énergie", "faire l'effort de". Il s'agit, pour le juriste, en l'absence de textes de référence de s'atteler à formuler rationnellement une réglementation en prise avec le lieu ou l'époque et qui ne trahisse pas l'enseignement et l'esprit des deux sources fondamentales. Selon les lieux et les époques, les réponses ont donc dû s'adapter au contexte : elles furent par la force des choses diverses, plurielles mais toujours "islamiques" quand elles ne contredisaient pas les principes généraux unanimement reconnus.

C'est dire la place du raisonnement, et avec lui de la relativité de l'espace et du temps, dans le domaine de la réflexion juridique. Les juristes doivent répondre aux questions de leur temps en tenant compte des réalités sociales, économiques, politiques de leur lieu de vie. C'est ce que fit l'imâm al Shâfi'i lorsqu'il modifia le contenu de sa jurisprudence (fiqh) après un voyage qui l'avait mené de Bagdad au Caire. Quand on lui demanda le pourquoi de telles modifications alors que l'islam est un ; il répondit que les réalités de Bagdad étaient différentes de celles du Caire et que des lois valables là-bas ne l'étaient pas forcément ici. En d'autres termes, il traduisait le fait que si la lettre du Coran et de la Sunna est une, son application concrète est plurielle et suppose une adaptation.

Ce travail d'adaptation qui est le fait des juristes est connu sous le nom de "fiqh" qui regroupe l'ensemble de la jurisprudence islamique : tant pour ce qui a trait à l'aspect cultuel que pour les affaires sociales. Si les règles codifiant le culte ne se modifient guère, il n'en va pas de même du traitement des affaires sociales. Ici, les réalités fluctuent et le fiqh bien compris est une réponse donnée à un moment donné de l'histoire par un juriste qui "a fait l'effort" de formuler une législation islamique et dont on doit saluer le travail mais non pas sanctifier les décisions ou les propositions. Cette confusion entre la sharî'a et le fiqh est d'ailleurs l'un des problèmes majeurs des musulmans aujourd'hui : ceux-ci, trop souvent, soit confondent l'esprit des injonctions coraniques avec le sens que tel juriste leur a donné aux premiers temps de l'islam, soit éprouvent une grande peine à penser une législation puisant toujours dans les sources fondamentales mais en prise réelle avec notre époque.

On le voit de façon explicite, dès l'origine, et jusqu'à aujourd'hui, l'islam a toujours exigé de ses fidèles de penser concrètement, rationnellement, leur rapport au monde et à la société. De nombreux orientalistes ont relevé que l'une des spécificités de l'islam était la priorité donnée, dès l'origine, à la réflexion juridique plutôt qu'aux considérations théologiques parce que, dans son essence, l'islam mariait la sphère privée et la sphère publique et que la recherche de réponses concrètes s'imposait. Ce mariage révèle une conception particulière de l'homme et du monde.

Nous avons essayé de montrer que rien ne s'oppose en islam au fait d'appréhender le changement et d'accepter le progrès, mais il nous reste encore à mettre en évidence les spécificités de la conception islamique de l'être humain et de l'univers. Il s'agira en fait d'analyser quelques-uns des principes généraux et absolus dont nous parlions plus haut afin de mesurer en quoi ils peuvent traduire une certaine idée de la modernité qui ne serait toutefois pas assimilée à son actualisation occidentale.

 

Dieu, la création et les hommes

1. Le Créateur et la gérance

Le dogme de l'islam, c'est l'existence de Dieu, Unique et Créateur. Le principe qui en découle est que l'univers entier appartient à Dieu qui en est, par essence, le propriétaire. On trouve souvent répétée dans le Coran la formule :

"Ce qui est dans les cieux et ce qui est sur la terre appartient à Dieu..."

Coran 2/284

C'est bien cette idée qui est traduite dans ces versets qui associent la propriété divine des cieux et de la terre, la dimension sacrée des êtres et des éléments de la création et, enfin, le rappel de la destinée des hommes :

"Ne vois-tu pas que ce qui se trouve dans les cieux et sur la terre et les oiseaux qui étendent leurs ailes célèbrent les louanges de Dieu ? Dieu connaît la prière et la louange de chacun d'entre eux. Dieu sait parfaitement ce qu'ils font.

La royauté des cieux et de la terre appartient à Dieu : le retour final sera vers Dieu.

Ne vois-tu pas que Dieu pousse les nuages, puis qu'Il les amoncelle pour en faire une masse ? Tu vois alors l'onde sortir de leur profondeur. Dieu fait descendre du ciel de la grêle (provenant) des nuages (comparables) à des montagnes. Il en frappe qui Il veut ; Il en préserve qui Il veut ; l'éclat de la foudre arrache presque la vue.

Dieu fait alterner la nuit et le jour. Il y a en cela un enseignement pour ceux qui sont doués de vue."

Coran 24/41-44

Ainsi, une fois rappelée cette dimension, le croyant perçoit que l'ensemble de la création est sacrée et qu'il doit user des éléments avec respect et reconnaissance. Il n'est, comme le dit le Coran, qu'un gérant qui devra rendre compte de ses actes :

"C'est Lui qui a fait de vous ses gérants (lieutenants : khalâ if) sur la terre. Il a élevé certains d'entre vous au-dessus des autres pour vous éprouver en ce qu'Il vous a donné..."

Coran 6/165

Ainsi l'homme vit dans un univers dont tous les éléments sont des signes dès lors qu'il se souvient de Dieu. Les éléments sont sacrés dès lors qu'est convoquée la mémoire de la foi ; ils deviennent profanes par l'oubli et la négligence. C'est dire combien est grande la responsabilité de l'homme qui, en sus du dépôt de la foi, doit et devra rendre compte de sa gestion du monde. Tel est le sens de la parabole coranique :

"Oui, nous avions proposé le dépôt de la foi aux cieux, à la terre et aux montagnes. Ceux-ci ont refusé de s'en charger, ils en ont été effrayés. Seul, l'homme s'en est chargé, mais il est injuste et plein d'ignorance." Coran 33/72

L'homme est libre, certes, mais d'une liberté qui a ses exigences, au plein sens du mot.

2. La permission originelle

L'univers entier est l'œuvre de la volonté divine : dans l'absolu, cette œuvre est bonne et révèle le bien pour l'homme. La nature l'accueille et le naturel l'oriente. C'est une règle fondamentale en islam que d'affirmer la priorité de la permission - et donc de la liberté - dans notre rapport au monde et aux hommes. Cette permission originelle (al-ibâha al-asliya) doit se traduire par une compréhension particulière de notre être au monde : la liberté et l'innocence sont les états premiers de l'homme dans un monde ouvert ; plus intimement, dans un monde offert :

"C'est lui qui a créé pour vous tout ce qui est sur la terre..."

Coran 2/29

"Ne voyez-vous pas que Dieu a mis à votre service ce qui est dans les cieux et ce qui est sur la terre ? Il a répandu sur vous des bienfaits apparents et cachés..." Coran 31/20

L'homme conçoit donc l'univers, dont il fait partie, comme un don et ses éléments comme des bienfaits offerts à sa présence, témoins de sa responsabilité. Le champ de l'interdit est bien restreint en comparaison de l'horizon des possibles : c'est ce que nous confirme la lecture du Coran et ce qu'a rappelé Muhammad à ses premiers compagnons :

"Ce que Dieu a rendu licite dans son Livre est certes licite ; ce qu'il a rendu illicite est illicite et ce à propos de quoi il s'est tû c'est une bonté de sa part : acceptez donc de Dieu sa bonté car Dieu ne peut avoir oublié une chose" puis il récita le verset du Coran : "...Et Dieu n'est pas de ceux qui oublient." (Coran 19/64)

et dans une autre tradition (hâdith) :

"Dieu a prescrit des devoirs, ne les négligez pas ; il a institué des limites, ne les outrepassez pas ; il a prohibé certaines choses, ne les transgressez pas. Il s'est tû au sujet de certaines choses, par bonté envers vous, non par oubli, ne cherchez pas à les connaître."

Adam et Eve, tous deux responsables d'une désobéissance au seul interdit exprimé par Dieu, seront pardonnés après leur acte et leur vie sur la terre sera une épreuve qui prend sa source dans l'innocence et son sens dans la responsabilité :

"Nous avons dit : "Ô Adam ! Habite avec ton épouse dans le jardin ; mangez de ses fruits comme vous le voudrez ; mais ne vous approchez pas de cet arbre, sinon vous seriez au nombre des injustes."

Le Démon les fit trébucher et il les chassa du lieu où ils se trouvaient. Nous avons dit : "Descendez, et vous serez ennemis les uns des autres. Vous trouverez sur la terre un lieu de séjour et de jouissance éphémère."

Adam reçut de son Seigneur des paroles ; puis Dieu accueillit son repentir. Dieu est, en vérité, celui qui revient sans cesse vers le pécheur repentant ; Il est Miséricordieux."

Coran 2/35-37

Dans ce lieu de séjour qu'est la terre, l'homme naît innocent et les Révélations successives viennent lui indiquer la voie (la sharî'a, au sens premier du terme) et spécifier des limites. Chacun, selon ses capacités, sera responsable de leur respect et chacun devra rendre compte de ses actions :

"Dieu n'impose à chaque homme que ce qu'il peut porter..."

Coran 2/286

"...Nul ne portera le fardeau d'un autre..." Coran 17/15

Ainsi est la vie, et cette épreuve est le lot de tous les êtres humains depuis l'aube des temps :

"(Il) a créé la mort et la vie pour vous éprouver et connaître ainsi celui d'entre vous qui agit le mieux. Il est Tout-Puissant ; il est celui qui pardonne."

Coran 67/2

Sur le plan juridique, il s'ensuit une règle imposée dans la modalité de lecture du Coran et de la Sunna dès lors qu'il est stipulé que la permission est première : tout ce qui n'est pas clairement interdit par Dieu est permis de fait. L'interdiction agit autant comme une limitation que comme une orientation : par l'imposition de limites, le Créateur révèle à l'homme la dimension du sens et lui indique un horizon de valeurs dont le respect fondera son humanité, sa dignité. Or, les interdits, à les considérer dans leur ensemble, sont en nombre restreint : ce qu'il reste à l'homme de champ d'action et d'engagement est infiniment étendu. En ce sens, Yusuf al Qardâhoui a bien raison de préciser que la permission originelle ne recouvre pas seulement les éléments naturels, les viandes ou les boissons mais également les actions, les habitudes et les coutumes diverses et donc les affaires sociales dans leur ensemble. Tout est permis à l'exception de ce qui contredit une prescription stipulée et reconnue. La dignité de l'homme tient dans sa capacité à marier les deux attitudes : respecter les limites et relever le don de son humanité :

"Ce qui est licite est évident, comme est évident ce qui est illicite. Entre le licite et l'illicite, il est des choses (ou actions) qui suscitent le doute et que bien peu de gens connaissent. Celui qui se garde de ces choses (ou actions) préserve par là même sa religion et son honneur. Celui qui tombe dans les choses (ou actions) douteuses s'aventure en fait dans l'illicite. A l'exemple du berger dont les bêtes pâturent autour d'un enclos dans lequel elles risquent à tout moment d'entrer. Tout souverain possède un domaine réservé ; celui de Dieu est l'ensemble de ses interdictions. - Il est dans le corps un morceau de chair qui, s'il est sain, rend tout le corps sain ; mais s'il est corrompu, tout le corps se corrompt ; certes, il s'agit du cœur."

La conscience que l'univers est offert et que s'y dessinent les chemins du don, de la permission et de la confiance, doit être première. Il est en l'homme une nature qui est une bénédiction : elle lui permet d'atteindre une sérénité à la source du pardon de Dieu et de Son amour. Alors, doit agir la conscience des limites et ce, dans l'intime conviction de la responsabilité devant Dieu et non dans celle de la primauté de sa culpabilité.

3. Les droits de Dieu, la responsabilité des hommes

L'ensemble de la conception de l'homme qu'offre l'islam, de son rapport à l'univers et à autrui tient dans les trois fondements que nous venons de présenter : le principe de la propriété du Créateur, comme celui de la gérance, au sein duquel vient s'inscrire l'idée de la permission originelle, sont les substrats de la religion islamique. La "soumission", qui est la traduction littérale du mot "islam", c'est, à l'instant même où s'exprime la foi, la reconnaissance de cet ordre essentiel : se soumettre, c'est accepter la liberté en être humain responsable devant le Créateur ; c'est faire siennes les limites :

"...Telles sont les limites (frontières, lois) de Dieu, n'en approchez pas (ne les transgressez pas). C'est ainsi que Dieu explicite Ses signes aux humains. Peut-être Le craindront-ils."

Coran 2/187

L'ordre de l'univers et la sacralité des éléments qu'il faut respecter, les limites qu'il ne faut pas transgresser sont, dans l'intimité du fidèle, les droits de Dieu sur l'ensemble de la création. En islam, cette intimité est marquée, dès l'origine et au-delà de toute appartenance à une religion spécifique, par la reconnaissance de la Transcendance. Qui fera le chemin vers l'origine trouvera en lui cette aspiration naturelle (al fitra) vers Dieu :

"Et quand Nous prîmes des reins d'Adam sa descendance et Nous la fîmes témoigner : "Ne suis-Je pas votre Seigneur ?", ils répondirent : "Certes oui, nous en témoignons !" Et ce afin que vous ne disiez pas au Jour du Jugement dernier : "Nous ne savions pas !""

Coran 7/172

Faire de sa vie et de sa liberté le témoignage quotidien de cette reconnaissance est la responsabilité de l'homme : sa façon, par la mémoire et le geste, de célébrer les louanges du Créateur de ce même chant que libère le battement des ailes de l'oiseau, la succession des jours et des nuits ou la graine, quand elle se fend en donnant la vie :

"Les sept cieux et la terre, et tout ce qui est en leur sein, célèbrent les louanges de Dieu. Il n'est pas une chose sur la terre qui ne célèbre Ses louanges mais vous ne comprenez pas leur chant. Dieu est certes doux et pardonneur."

Coran 17/44

"Dieu est le créateur de la graine et du noyau, il extrait le vivant du mort et il extrait le mort du vivant. Tel est Dieu ; pourquoi vous détournez-vous de Lui ?

Il fend le ciel à l'aube. Il a fait de la nuit un repos ; du soleil et de la lune, une mesure du temps. - Voilà le décret du Puissant, de celui qui sait !

C'est Lui qui, pour vous, a établi les étoiles afin que vous vous dirigiez d'après elles dans les ténèbres de la terre et de la mer. Nous exposons Nos signes aux hommes qui savent.

C'est Lui qui vous a fait naître d'une personne unique - réceptacle et dépôt - Nous exposons les Signes aux hommes qui comprennent."

Coran 6/95-98

Dire que Dieu a des droits, c'est dire que l'essence de l'homme est d'être tout à la fois libre et responsable : clairement, il a la responsabilité - le devoir - de rendre compte de sa liberté. Cette formulation, en apparence paradoxale, traduit assez bien le sens de la vie humaine. Dieu a voulu l'ordre du monde tel qu'il est, il a décidé la diversité des couleurs et des religions : c'est l'expression de son droit. L'homme, libre, doit reconnaître cet ordre et respecter, en l'autre, le droit de Dieu. On le voit, les perspectives sont inversées : il n'est pas ici de tolérance que le croyant pourrait, par condescendance, avoir à l'endroit d'autrui. Le droit d'être est donné à tous et le devoir de chacun devant Dieu est de le reconnaître. Se donner le droit de tolérer, c'est transgresser une limite... c'est violer, dans l'intimité, le droit du Créateur :

"...A chacune (des religions du livre) Nous avons donné une voie et un enseignement. Si Dieu l'avait voulu, Il aurait fait de vous une seule communauté mais il en est ainsi afin de vous éprouver en ce qu'Il vous a donné. Rivalisez donc de bonté. Vers Dieu se fera votre retour à tous et Il vous informera alors de ce sur quoi vous étiez divisés." Coran 5/48

La différence des peuples et des nations, les spécificités de cultures, le particularisme des coutumes a été voulu par Dieu. C'est une richesse, mais c'est aussi une épreuve, tant il est difficile pour l'homme de concevoir et de vivre la différence sous tous ces aspects. Elle est un fait, elle est un défi. Le Coran nous indique ici que la meilleure façon de le relever, de faire face à cet aspect de la vie terrestre, est de rivaliser de bonté... dans tous nos actes, au creux de toutes nos pensées. Avec nos gestes, avec nos mots, avec notre cœur. Il n'y a pas à tolérer... il y a, en tout, devant tous, de tous les horizons et de toutes les couleurs, à témoigner de l'exigence de vérité, de bien et de justice.

 

Horizons de l'Islam

La vie sociale, politique et économique va, on le conçoit aisément, être directement influencée par les fondements que nous venons d'analyser. L'homme, qui jouit d'une liberté réelle et fondamentale, devra garder en mémoire ces dimensions de propriété, de droit et de responsabilité. Sa vie sera témoignage. C'est dans ce "paysage de sens" que va se définir l'idée d'individu, que va prendre forme la notion de "communauté" : d'elle vont naître les principes généraux du droit. Et c'est une des spécificités de l'islam d'avoir enfanté une réflexion dont l'essence est avant tout juridique : que ce soit sur le plan individuel et cultuel, sur le plan social et politique ou sur le plan financier et économique. Le Droit, en ce qu'il est la codification des responsabilités, des libertés et des principes de coexistence, est premier.

Les juristes "des sources de la législation", à la suite de la formulation produite par le savant Al-Châtibî dans son célèbre ouvrage "al Mouafaqâte", ont déterminé cinq principes dont le respect va orienter toute la réglementation religieuse et qui, a fortiori, va influer sur les perspectives sociales, politiques et économiques : la religion (al dîn), la personne (al nafs), la raison (al 'aql), la filiation (al nasl), les biens (al amouâl). Il est possible de dire que toutes les obligations et toutes les interdictions religieuses découlent du respect strict de ces principes fondamentaux. De fait, la législation des différents domaines d'activité humaine devra s'efforcer de préserver cette orientation essentielle : celle-ci doit agir comme la référence, comme une sorte de mémoire des finalités, que les croyants ne peuvent négliger.

 

I/ Les principes sociaux

S'il est un domaine où le respect fondamental des principes précités exige une vigilance de tous les instants, c'est bien celui de la sphère sociale. A tous les niveaux, aussi bien sur le plan strictement cultuel (al 'ibadâte, ce qui a trait aux piliers de l'islam, au culte), que sur celui, plus large, de la vie quotidienne ; l'islam est porteur d'un enseignement entièrement dirigé vers la dimension communautaire et sociale. Au point que l'on peut dire qu'il n'y a pas de pratique réelle de la religion sans investissement personnel dans la communauté : la sérénité de notre solitude devant le Créateur ne peut être que si elle est nourrie par notre relation chaque jour renouvelée avec nos semblables. On comprend donc que s'il est une responsabilité qui pèse sur chaque individu devant Dieu ; il existe, par extension, une exigence déterminante adressée au groupe, à la société proprement dite : elle est le lieu au sein duquel se décide le destin de chacun de ses membres et, de fait, il est nécessaire que soient offertes à chacun les conditions optimales lui permettant de répondre à ses aspirations spirituelles et morales. Ce n'est pas peu dire.

La dimension sociale est fondamentale, sans l'ombre d'un doute, et c'est sur elle que reposent l'ensemble des références religieuses et culturelles : organiser l'espace social, c'est se donner les moyens de vivre son identité pleinement, sereinement. Toute réflexion sur un projet de société qui voudrait relever le défi de la "vie moderne", en Occident ou en Orient, doit, sans médiation, s'articuler autour de cet espace. A l'heure de la crise qui secoue aujourd'hui les Etats-Unis et l'Europe, on sent, à l'ombre des indicateurs du chômage, de l'exclusion, de la violence et de la xénophobie, qu'il devient urgent de repenser "le fait social". Et ce, en amont des préoccupations politiques ou économiques. Les pays asiatiques ne faillent pas non plus à cette règle, pas plus que les sociétés du Sud, toutes traditions confondues, pour qui l'avenir s'annonce bien sombre si rien ne vient "perturber" les dérives actuelles.

Il convient d'apporter des réponses concrètes et il ne suffira pas de présenter un projet de société théorique fondé sur des conceptions générales et, de surcroît, idéales pour inverser l'ordre des choses. S'en référer à l'islam, c'est décrire un horizon de foi, de pensée, de culture et de civilisation... ce n'est pas encore avoir élaboré les solutions. Si la formule "L'islam est la solution" est un slogan unificateur, il n'est qu'un slogan vide de toute stratégie et de toute planification. Oublier cela, c'est s'approcher d'un piège dans lequel plus d'un musulman est tombé en considérant qu'il suffit de citer les sources pour traduire la dimension de leur juste applicabilité en fonction du contexte actuel. L'histoire aurait dû nous apprendre pourtant qu'il est en tout cas deux façons de trahir l'enseignement offert par nos sources : tronquer le texte est la façon la plus courante... mais appliquer un texte hors de son contexte, hors de son orientation (qasd), est une trahison bien plus pernicieuse parce que, en apparence, tout porte à croire que l'on a respecté la lettre. Les aménagements islamiques de vitrine sont dangereux... dans leur superficialité, ils sont mensongers. Ce formalisme est l'un des pires ennemis de celui qui, en toute sincérité, veut respecter les enseignements coraniques et traditionnels : il permet de les appliquer comme l'on cite, sans grand effort de recherche, à peu de frais. Mais avec tant de dégâts.

Nous aurons ici à nous prémunir contre ce penchant. Mais il convient de ne pas tomber dans l'autre extrême qui consisterait à faire peu de cas des références et à attendre des musulmans - à tout le moins de ceux qui désirent rester fidèles aux orientations de la Révélation coranique - qu'ils traduisent un projet hors de toute finalité prédéterminée, hors de toute dimension religieuse et culturelle. Penser la modernité exige, somme toute, que nous présentions de façon claire quels sont les impératifs et les priorités des grandes orientations de l'action sociale. Ce cadre décrit, il nous sera possible de proposer des perpectives de recherche pour les problèmes contemporains.

1. L'individu

Nous l'avons indiqué plus haut, l'homme est d'abord un être responsable. Devant Dieu, mais également devant les êtres humains et parmi ses semblables. Construire une société suppose que l'on ait, au préalable, déterminé une conception de l'individu qui la constitue. En cela l'Islam, comme d'ailleurs toutes les spiritualités et toutes les religions, a mis l'accent sur trois principes fondamentaux (qui sont autant d'aspirations) : l'exigence de vérité et de transparence ; la dimension morale (éthique) et la priorité des valeurs ; l'impératif du respect des hommes et des normes d'équilibre. Chaque être humain doit chercher à vivre, à nourrir et à donner sens à ce qui fait son humanité : savoir pour s'approcher du plus vrai ; donner force à ses valeurs pour réaliser le bien ; écouter et participer pour mieux respecter. L'appel du Prophète à chercher la connaissance ("La recherche de la connaissance est une obligation pour tout musulman et musulmane") ; l'exigence coranique à s'engager pour le bien vis-à-vis de sa propre personne et de la société ("Vous commandez le bien et vous interdisez le mal") ; et enfin l'ensemble des recommandations à la mesure et à la douceur que l'on trouve dans le Coran et la Sunna ("Parlez-leur de la meilleure des façons", "N'oubliez pas d'user de générosité - de bonté, de douceur - les uns envers les autres") vont clairement dans ce sens. Impossible donc de penser une société sans commencer par l'individu qui doit faire sien l'effort de réforme de son être. Le verset est répété à l'envie :

"...Dieu ne change pas ce qui est en un peuple avant qu'ils ne changent ce qui est en eux..."

Coran 13/11

Le passage du singulier du peuple au pluriel des individus qui le constituent ne souffre aucune hésitation pour ce qui est de la portée de l'injonction. La dimension sociale prend sens à la source de la conscience de chaque être, seul, fort de l'effort de tous. Pour qui est porteur de la foi, cette compréhension se fait dans un perpétuel souci d'équilibre :

"Recherche, dans ce que Dieu t'a donné comme biens, la demeure dernière. Ne néglige pas ta part de la vie de ce monde. Sois bon comme Dieu est bon avec toi. Ne recherche pas la corruption sur la terre. Dieu n'aime pas ceux qui sèment la corruption."

Coran 28/77

Aussi faudra-t-il que la société permette à chacun de ne pas négliger "(sa) part de la vie de ce monde". Les exigences se font écho : la société doit se penser en fonction de l'individu et elle doit lui offrir la possibilité de vivre pleinement les exigences de son humanité. En d'autres termes, elle doit lui donner la possibilité de choisir, en connaissance de cause : il s'agira donc de ne pas se tromper sur le fond... choisir dans l'ignorance et l'analphabétisme n'est pas choisir, voler dans le dénuement et la misère n'est pas voler, respecter sous la contrainte et la répression n'est pas respecter.

2. La famille

On le sait pour l'avoir vécu soi-même, chacun à sa façon ; on en prend la mesure dans les situations de marginalisation ou de violence, et même s'il paraît quelque peu "vieux jeu" d'en parler, de s'y référer ou d'en faire un idéal... la famille reste pourtant la référence constitutive de chacun. L'époque moderne se caractérise par la volonté d'indépendance, de liberté, d'individualisme : il faut se faire seul, voler de ses propres ailes le plus vite possible et l'espace familial prend des allures de prison. Pourtant, à écouter chaque mère, chaque père, on demeure persuadé que ce que l'on veut de mieux pour ses enfants est bien un environnement familial équilibré, ouvert, serein. La vie quotidienne rend les choses de plus en plus difficiles certes, les couples se brisent, les déchirements se multiplient, les déséquilibres augmentent : nul ne se réjouit de cet état de fait et c'est bien l'amertume et l'inquiétude qui accompagnent la lecture des statistiques des divorces et des familles mono-parentales. Sera-ce le tribut à payer à l'époque, à la modernité ? Serait-on en face d'un processus irréversible contre lequel il est vain de vouloir lutter ? Des réponses urgentes doivent être apportées à ces questions. Urgentes, vraiment.

Les références islamiques s'opposent de la façon la plus claire au processus dont nous venons de parler. Si la modernité est à ce prix, on comprendra que tant le Coran que la Sunna affichent une fin de non recevoir à l'actualisation de cette modernisation. Et si le monde entier était pris dans le tournoiement de cette mode ayant honte, de se référer à la famille, alors le musulman, où qu'il soit, devrait rappeler son importance, son sens et sa finalité. La famille fait l'être humain ; demander à l'homme d'être sans famille, c'est demander à l'orphelin de donner naissance à ses parents. Combien peuvent le faire ? Combien d'orphelins saignent de leur manque ? - A-t-on seulement le droit d'offrir ce mensonge à nos enfants, et de rester passif ? La référence musulmane exige de nous l'attitude exactement opposée.

L'Islam, quant à ses préoccupations, ne déroge pas au sens de cette priorité. C'est une obligation pour toute société musulmane de tout mettre en œuvre pour préserver les structures qui permettent le respect de la vie de famille : celles du travail, de l'éducation, de l'impôt et des allocations jusqu'à la cohérence de la politique d'urbanisation dont on sait aujourd'hui quelle influence déterminante elle peut avoir sur la vie privée des citadins.

L'orientation générale au sein de la famille est celle de la complémentarité qui doit se vivre à partir d'un principe d'égalité. Le Prophète avait précisé : "Certes, les femmes sont les sœurs des hommes" et tous deux ont les mêmes devoirs et les mêmes droits devant Dieu et seront rétribués de la même façon :

"Dieu leur répondit : "Je ne laisse pas perdre l'action de celui qui, parmi vous, homme ou femme, agit bien. Vous participez les uns des autres..."

Coran 3/195

Dans cette égalité, chacun aura a rendre compte de sa conscience et de sa vie.

05/06/2006
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